Pour ceux qui n'auraient pas suivi, un portail a été créé entre New York et Dublin. Ou plutôt un Portal, pour citer le nom de l'œuvre, puisqu'il s'agit d'une installation artistique.
Son auteur, le Lituanien Benediktas Gylys, a imaginé des écrans géants connectés qui, installés dans la rue à différents endroits du globe, permettraient aux passants de se voir en temps réel à des milliers de kilomètres de distance, 24 heures sur 24.
Les premiers portails, il y a 3 ans, ont relié Vilnius en Lituanie à Lublin en Pologne. Et le 8 mai dernier, c'est entre Broadway et O'Connell Street que la liaison a été inaugurée.
Ca ne sert à rien, mais je trouve l'idée très poétique et le résultat profondément émouvant. Des inconnus se saluant de la main, des sourires se répondant par delà l'océan, des "pierre-feuille-ciseau" improvisés, des messages d'amour sur pancartes et des chorégraphies offertes d'un côté et de l'autre du portail... L'art n'est jamais aussi puissant que lorsqu'il est généreux et populaire.
Mais ce mardi, 6 jours après sa mise en service, ce Portal a été fermé.
Pourquoi ? Parce que des gens ont eu des "comportements inappropriés". Gestes injurieux, provocations gratuites, exhibitionnisme... Un Irlandais s'est amusé à montrer aux New-yorkais, sur son smartphone, des images du 11 septembre. Hilarant.
Il a donc été décidé d'interrompre la connexion... en attendant de "légiférer". Parce qu'une poignée d'individus s'est arrogé le droit de piétiner une idée qui ravissait des milliers de personnes.
On pourra s'étonner que je m'émeuve d'un tel non-événement alors qu'on s'entretue un peu partout sur Terre, que tant de mes contemporains vivent sous le joug d'une tyrannie et qu'ici même, à Paris, des monstres ont profané le Mémorial de la Shoah.
Mais ces faits sont motivés par des idéologies. Et les idéologies peuvent être combattues. Je m'y emploie comme vous dans mon quotidien, tandis que d'autres, plus éloquents et influents, portent ce combat sur la place publique.
Dans le cas de Portal, il n'y a rien. Pas d'idées haineuses à combattre, de croyances radicales ou de cupidité meurtrière à dénoncer. Juste la bêtise de quelques-uns, contents de détruire ce qu'ils ne savent apprécier.
Alors à ceux qui s'obstinent à ruiner ce qui peut l'être : c'est quoi votre problème ?! Si c'est le frisson de la provocation et de la transgression qui vous excite, mettez au moins votre ardeur au service d'une cause valable.
Et à ceux qui sont attachés à la poésie et à la beauté de nos relations, à ceux qui créent, qui rêvent et qui aiment, à ceux qui savent s'émouvoir d'une image, d'une musique, d'une voix ou d'un visage, à tous ceux-là : ne nous résignons pas. Célébrons partout ce qui fait, malgré tout, la force et la saveur de notre humanité.
"La beauté sauvera le monde", écrivait Dostoïevski. Mais il va falloir qu'on l'aide un peu.