Si je vous dis "cubisme", vous me répondrez... Picasso. Et compte tenu de la notoriété du type, toute autre réaction serait surprenante.
Mais revenons un peu en arrière.
Paris, 1907. On assiste à la rencontre de deux artistes que presque tout sépare.
Pablo Picasso l'Espagnol, virtuose rebelle à l'esprit bouillonnant, aussi sanguin qu'imprévisible.
Georges Braque le Français, artisan dans l'âme, calme et tempéré, guidé par la raison et la recherche d'équilibre.
Picasso et Braque, c'est le yin et le yang. Mais ils ont en commun un désir ardent de modernité. En ce début de siècle, ils veulent trouver une nouvelle manière de dire le monde en images.
Pendant sept ans - jusqu'à la mobilisation de Braque sur le front -, ils travaillent en collaboration étroite. Ils passent des journées à peindre côte à côte, à comparer leurs toiles, à se poser des questions pour y répondre ensemble... et à produire des œuvres étonnamment similaires.
Au fil des mois, leur création évolue. Les experts parleront de cubisme "cézannien", "analytique", "synthétique"... mais ces mots barbares ne désignent en réalité que les phases successives d'un dialogue créatif en recherche permanente.
Car voilà ce qu'est le cubisme : non pas une épiphanie géniale vécue par un artiste visionnaire, mais une co-construction progressive par deux esprits en quête de nouvelles propositions. Non pas un fulgurant "Eurêka !", mais un fiévreux "Et si on essayait... ?"
Alors on peut toujours se demander qui était le "vrai" créatif. Lequel a eu l'idée de représenter le monde par une juxtaposition de facettes? Lequel a proposé de limiter sa palette à un camaïeu de gris et d'ocres? Lequel a pensé à coller sur sa toile une page de journal ou un morceau de toile cirée?...
Mais ces questions sont vaines. Parce que ces idées n'auraient pas vu le jour autrement qu'au fil de leurs échanges.
Braque, plus tard, déclarera : "Picasso et moi étions deux alpinistes attachés l'un à l'autre." Le cubisme était leur œuvre commune. Au point qu'ils s'abstenaient de signer leurs toiles, renonçant à en revendiquer la paternité pour faire valoir leur collaboration.
Nous avons tendance à vouloir individualiser les talents. Trouver des génies à mettre sur des piédestaux, des "rôles modèles" inspirants dont les citations inonderont les réseaux sociaux.
Mais c'est oublier que ces champions n'auraient rien accompli s'ils n'avaient pas eu, à leurs côtés, des interlocuteurs pour challenger leurs intuitions, catalyser leur réflexion, et les aider à accoucher de leurs trouvailles.
Alors au lieu de demander "Qui a eu cette idée ?", posons plutôt la question: "Comment est née cette idée ?"
Nous comprendrons alors que l'intelligence humaine n'est jamais aussi féconde que lorsque nous sommes au contact - et à l'écoute - les uns des autres.