Une image peut être plus puissante que tous les commentaires... mais à certaines conditions.
Cette oeuvre de l'Allemand Gerhard Richter date de 2005.
Elle s'intitule September. Et même si l'artiste l'a délibérément "brouillée", il ne vous a fallu qu'une fraction de seconde pour identifier l'événement auquel elle se réfère.
Richter, aujourd'hui considéré comme un des peintres majeurs de notre époque, a l'habitude de naviguer entre l'abstraction la plus totale et la figuration la plus saisissante. Ici, cependant, il semble hésiter.
Initialement, l'oeuvre se voulait quasi photographique : transposant sur sa toile l'une des images les plus célèbres du drame, Richter avait peint les deux tours, la fumée, le ciel new-yorkais.
Mais devant le résultat, il a été pris de vertige : "J'ai réalisé qu'il n'était pas possible de peindre un instant d'une telle intensité."
Il a alors "raclé" la toile pour en altérer l'aspect et se distancier de la figuration. L'œuvre ainsi obtenue ne décrit pas : elle suggère. Richter nous force à convoquer nos souvenirs pour reconstituer cette image que nous avons tous vue mille fois.
Mais c'est un autre aspect de September qui en fait selon moi la plus puissante évocation du 11 septembre : ses dimensions.
Compte tenu de l'ampleur du drame, il aurait semblé logique qu'un peintre comme Richter, habitué aux formats monumentaux, traite le sujet sur une toile gigantesque.
Pourtant, il a choisi de travailler sur un format beaucoup plus réduit : à peine plus de 50 cm de haut, sur 70 cm de large.
Et s'il l'a fait, c'est un peu pour la même raison que celle qui a poussé Picasso à peindre Guernica en noir et blanc. L'Espagnol s'était passé de couleurs parce qu'il voulait que son oeuvre rappelle les photos de la Guerre d'Espagne que les gens découvraient dans les journaux.
De la même manière, Richter a peint September sur une toile aux dimensions d'un écran de télévision standard. Rappelez-vous : en 2001, la plupart d'entre nous avions encore une télévision 4/3, et c'est comme ça que nous avons vu ces images pour la première fois.
En choisissant ce format, Richter nous remet, nous spectateurs, dans les conditions dans lesquelles nous nous trouvions lorsque nous avons pris connaissance du drame.
Ainsi, plutôt que de décrire un événement sur lequel tout a déjà été dit, il fait renaître en nous les sensations éprouvées ce matin-là : sidération, incrédulité, effroi.
September nous rappelle que la force d'un message, sa capacité à nous interpeller et à nous faire réfléchir, ne réside pas dans sa précision ou son exhaustivité, mais dans sa puissance évocatrice.
C'est lorsqu'il éveille en nous un sentiment personnel qu'il nous touche réellement. Même lorsqu'il s'agit d'évoquer un événement à la portée universelle. Car alors ce sont les émotions qui sont sollicitées.
N'oublions jamais ceci : dès lors qu'il s'agit de partager, la forme a autant d'importance que le fond. Et l'intime autant de poids que l'universel.