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Grégoire Jeanmonod

La fureur de vivre... et de comprendre


Nous sommes en 1959 à New York. Bruce Davidson est un des plus jeunes photographes de la célèbre agence Magnum.


Ce jour-là, un article dans le journal l’interpelle : il y est question d’un affrontement entre gangs de rue. Il tient le sujet de son prochain reportage.


Par l’intermédiaire de son réseau, il entre en contact avec les Jokers, l’un des gangs impliqués, qui sévit à Brooklyn.


Davidson comprend vite qu’il n’a pas affaire à des gangsters aguerris, mais à des ados de 17 ans qui n’ont pas appris à vivre autrement que dans le rapport de force. Oubliez Scarface et Capone : les Jokers, c’est les Jets de West Side Story, James Dean dans la Fureur de Vivre.


Au fil des jours, le photographe s’intègre dans le groupe. Un peu à la manière d’un flic infiltré, mais sans la duplicité. Il gagne leur confiance. L’intérêt se transforme en empathie. Après tout il n’est pas beaucoup plus âgé qu’eux.


Finalement, il passera un an avec les Jokers, partageant leur intimité, leur désœuvrement, leurs frustrations…


Le résultat, c’est un reportage photographique intitulé Brooklyn Gang. Qu’y voit-on ? Eh bien… le contraire de ce à quoi on s’attend. Pas de violence, d’agressivité, d’incivilités. Juste des ados qui s’ennuient, jouent, draguent, fument des clopes, s’enlacent, exhibent leurs tatouages pour jouer les caïds. Davidson l’a dit lui-même : « Ce ne sont pas des photos sur les gangs, mais sur l’adolescence. »


Pourquoi ça me touche? D'abord, je ne suis pas sociologue. Ce post n’a pas vocation à minimiser les violences urbaines qui sévissent dans pas mal de nos quartiers. Alors si à ce stade de votre lecture vous êtes tentés de m’envoyer boire un thé chez les Black Blocs, ne vous donnez pas cette peine. ;)


Ce qui me fascine chez Davidson, c’est qu’il a refusé de réduire ces jeunes à l’étiquette collée sur leur front. Il s’est donné une chance de voir autre chose en eux. Il a renoncé à la facilité pour se rapprocher de la vérité. En un mot: il a fait preuve de curiosité, au sens le plus vertueux du terme.


Maintenant, posons-nous la question : faisons-nous preuve, dans notre quotidien, de cette même curiosité à l’égard des gens qui nous entourent ?


Voyons-nous le père de famille inquiet derrière le comptable ? L’artiste contrariée derrière la DRH ? Le fils endeuillé derrière le manager ? L’amoureuse déçue derrière la cliente mal lunée ? Savons-nous regarder plus loin que le statut ? Voir à travers le masque social ?... Difficile n’est-ce pas ? Et pourtant, ne serait-ce pas la condition d’une relation authentique ?


Voilà, la vraie leçon de Davidson : refusons les raccourcis et méfions-nous des étiquettes. Il y a toujours tellement plus à découvrir chez les autres.

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