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Grégoire Jeanmonod

La plus grande leçon de l'histoire de l'art


Regardez ces oeuvres et ces visages.


Vous avez sous les yeux une douzaine des personnalités les plus importantes dans l'avènement de l'art moderne, au début du XXème siècle. Picasso, Modigliani, Chagall, Brancusi, Delaunay et j'en passe...


Sans ces artistes, c'est toute notre culture visuelle qui serait différente. Parce qu'en empruntant des chemins nouveaux, ils ont contribué à l'éclatement des normes et des règles académiques, et offert à leurs successeurs une liberté jusqu'alors impensable.


Ce qu'il y a de stupéfiant, c'est qu'ils ont tous débuté en même temps, et dans la même ville : Paris. Mieux, ils ont tous fréquenté deux lieux que les amateurs d'art connaissent bien : le Bateau-Lavoir à Montmartre, et la Ruche à Montparnasse. Deux "cités d'artistes", immeubles sommaires au confort rudimentaire, mais où ils pouvaient louer un atelier pour une bouchée de pain.


Que le destin ait réuni fortuitement autant d'esprits créatifs pourrait passer pour une drôle de coïncidence.


Mais réfléchir ainsi, selon moi, serait une erreur de logique. Nous ne devrions pas nous étonner que ces artistes géniaux aient été tous au même endroit au même moment... mais plutôt comprendre qu'ils sont devenus des artistes géniaux précisément parce qu'ils étaient au même endroit au même moment.


Pourquoi ? Parce que le Bateau-Lavoir et la Ruche étaient des lieux extrêmement cosmopolites. Regardez encore ces photos : 12 artistes... et 12 nationalités. Picasso l'Espagnol, Modigliani l'Italien, Laurencin la Française, Brancusi le Roumain, Chagall le Biélorusse, Van Dongen le Néerlandais, Delaunay l'Ukrainienne, Giacometti le Suisse, Halicka la Polonaise, Ernst l'Allemand, Soutine le Russe... et même Foujita le Japonais.


Que ce soit au Bateau-Lavoir dans les années 1900, ou à la Ruche dans les années 1910, des artistes riches d'une culture différente ont donc travaillé ensemble, côté-à-côte, coude-à-coude. Et chacun a apporté avec lui un bagage, un langage, des traditions, une vision que les autres n'avaient pas.


L'air parisien était-il plus inspirant qu'un autre? La Ville Lumière était-elle particulièrement propice à la créativité, à l'audace ? Peut-être... Mais une chose est sûre : c'est surtout l'incroyable hétérogénéité culturelle de ces cités d'artistes qui a permis à ces peintres et sculpteurs d'inventer l'art moderne.


Si nous ne devions retenir qu'une seule chose de l'histoire de l'art, c'est celle-là : ce qui nous rend créatif, c'est la rencontre avec l'altérité.


De ce point de vue, à l'heure où nous sommes tous appelés à réinventer nos modes de vie pour envisager un futur différent, plus responsable et plus éthique, la pire des choses que nous puissions faire est probablement de nous replier sur nous mêmes en jouant la carte du communautarisme.


La diversité n'est pas - et n'a jamais été - un problème. Elle est une solution. Ces visages et ces oeuvres en sont la preuve.

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