Lesquelles de ces danseuses ont été peintes par Degas ? Tutus rose pâle ou tenues chamarrées?
La question n’est pas de savoir ce que vous préférez, mais ce qu’a peint Degas. Vous avez la réponse ?
La version originale de l’œuvre, c’est celle du bas.
Dès les années 1870 et pendant les 30 années suivantes, Degas a peint des ballerines. Sur scène, en coulisses, en répétition, au repos...
Ses premières scènes de ballet sont déjà d’une grande modernité par l’originalité de sa touche et de ses cadrages. Mais ses couleurs sont alors assez classiques : seul un ruban coloré à la taille des ballerines tranche avec la blancheur immaculée des tutus.
Vingt ans plus tard, ses danseuses arborent des couleurs éclatantes. Avec lui le rose fuchsia, le bleu azur, le rouge corail et le vert émeraude s’invitent à l’Opéra de Paris.
Bien sûr, on peut saluer l’audace d’un artiste qui a su, avec ses amis Monet, Renoir et les autres, s’imposer comme l'un des pères de l’art moderne.
Mais les couleurs choisies par Degas ne sont pas seulement osées : elles sont exagérément vives. Ses ballerines sont plus des oiseaux exotiques que des petits rats d’opéra.
Et si la raison de cette débauche de couleurs était... médicale ?
On sait que Degas était atteint d’une maladie oculaire qui l’a progressivement mené vers la cécité.
Cette maladie lui a fait perdre la vision colorée : année après année, Degas percevait de plus en plus les couleurs comme des nuances de gris. Ce serait pour compenser ce symptôme qu’il aurait utilisé des teintes aussi vives.
Le plus intéressant dans cette histoire n’est pas tant que son handicap l’ait poussé à modifier sa palette, mais qu'il n'ait pas cherché à se corriger.
Car il est impensable que personne ne lui ait dit : « Edgar, ça pique un peu les yeux tout ça. » Mais au lieu d'atténuer sa palette bariolée, il en a fait une composante de son travail. Il allait jusqu'à juxtaposer délibérément des couleurs complémentaires – comme ici le vert et le rouge orangé – pour accentuer les contrastes.
Ce qui fait la force de notre travail, c’est la singularité de notre regard et de nos pratiques. Et que ce soit l’effet d’un handicap, d’une expérience passée ou d’une inclination personnelle, nous devrions toujours chercher à en identifier la valeur. Certes le conformisme, qui tend à gommer nos différences, nous met a priori à l’abri des critiques. Mais n’oublions jamais que "normaliser n'est pas "harmoniser". Car l’harmonie, c’est au contraire l’art d’accorder nos différences pour créer davantage de richesse. Et si la norme nous semble être de meilleur goût, souvenons-nous de ce que disait Degas : « Le goût, c’est la mort de l’art. »