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Grégoire Jeanmonod

Le sacre des modestes


Quand tout le monde regarde dans une direction, c'est parfois intéressant de regarder dans le sens contraire...


Henri Cartier-Bresson était un géant. C’est simple : je ne connais pas un photographe qui ne le cite pas parmi ses inspirations.


Les photos qui illustrent ce post occupent une place particulière dans son œuvre. Elles sont issues d’une série intitulée l'Autre Couronnement.


Nous sommes le 12 mai 1937. Londres célèbre le sacre du nouveau Roi d’Angleterre, George VI. Evidemment, l’événement est ultra médiatisé : des journalistes viennent de partout pour couvrir la cérémonie.


Cartier-Bresson est l’envoyé du quotidien Ce Soir. Et dès son arrivée, il voit la foule agglutinée sur tout le parcours du carrosse royal, dans l’espoir d’apercevoir George VI et son épouse Elizabeth.


Devant Buckingham Palace, la cohue est totale. Quant aux photographes de presse, ils doivent jouer des coudes pour se faire une place: tous les coups sont permis pour rapporter un cliché du couple royal à son balcon.


Le jeu n’amuse pas beaucoup Cartier-Bresson. Alors il fait volte-face, et décide de tourner le dos à tout ce que les autres veulent voir: le balcon, la couronne, l'hermine.


Le voilà donc en train de photographier la foule. Ceux qui attendent l'arrivée du carrosse depuis des heures, ceux qui portent leurs enfants sur les épaules, ceux qui escaladent les lampadaires… et ceux qui, anticipant l’invention de la perche à selfie, ont fixé un miroir au bout d’un bâton pour observer la scène en mode périscope.


Cartier-Bresson a choisi de montrer la ferveur plutôt que le cérémonial, le chaos plutôt que le protocole, le cœur plutôt que la pompe. Et surtout : le peuple plutôt que le souverain.


Ce faisant, il bouleverse le sens commun des valeurs. Il nous rappelle que les gens sont autant dignes d’intérêt que ceux qui les gouvernent. Car en fin de compte, il n'y a pas de roi sans sujets.


Nous sommes sur LinkedIn, alors pourquoi ne pas pousser l’analogie ? Après tout c'est l'évidence: de même qu’il n’y a pas de roi sans sujets, il n’y a pas de patron sans employés, pas de commercial sans clients, pas de manager sans collaborateurs, pas de conférencier sans public, pas d’influenceur sans followers, etc…


Bref, la question que m'inspirent ces photos est la suivante : à quoi offrons-nous notre attention ? Sur quoi portent nos efforts ? Sur les choses et les gens qui brillent… ou sur celles et ceux qui les font briller ?


Allez, c’est le début de l’année, et il est encore temps de prendre des résolutions. Alors en 2024, je vous propose de détourner un peu nos yeux de ce qui fascine et impressionne, pour les tourner vers le commun, le modeste, l’authentique. Nous réaliserons peut-être que l’humilité et la simplicité sont aussi admirables que le plus grand des pouvoirs.

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