top of page
Rechercher
Grégoire Jeanmonod

Petit éloge du désordre


"La vie ne peut pas être contenue." Ce n'est pas moi qui le dis, mais l'éminent scientifique Ian Malcolm. Dans Jurassic Park. Entre deux attaques de T-Rex.


Et cette phrase m'amène naturellement à... Francis Bacon. Voilà pourquoi.


On a l’habitude de voir dans les toiles de Bacon des visions mortifères de visages martyrisés et de corps torturés. Mais qu'en disait leur auteur ? "Je n’exprime rien, je fais juste des images". Super.


Le truc, c'est qu'en refusant de commenter ses œuvres, Bacon nous laissait libres de les accueillir à notre guise. Alors je vous propose d'envisager une autre grille de lecture.


Et si ces anatomies informes ne nous parlaient pas de souffrance et de mort, mais de vie et d’énergie ? D’élan vital plutôt que d’affreuse agonie ?


Imaginez que ces corps sont des enveloppes qui peinent à contenir la vitalité qui les habite. Les pulsions de vie sont si fortes qu’elles essayent de s’échapper. Alors elles poussent les murs. Et forcément, ça remue, ça déborde, ça tiraille, ça écartèle, ça distend… Bref, c’est le chaos. Et Bacon rejoint Ian Malcolm.


Pour résumer : la vie, c'est le désordre. D’ailleurs c'est là qu'elle est née : dans ce gloubi-boulga ancestral qu'était la soupe primitive.


Et si le désordre est inhérent à la vie, c'est qu'il est nécessaire à la créativité. Celle qui a permis l’apparition des premiers micro-organismes, comme celle qui conditionne notre capacité à innover.


D'ailleurs Bacon l’avait bien compris. Preuve en est son atelier, capharnaüm rempli de cartons éventrés, de photos jaunies, de pinceaux usagés et de pots de peinture vides. Une vraie soupe primitive à l’irlandaise. Il disait ne pas pouvoir créer dans d’autres conditions.


Evidemment, dans nos métiers, un certain ordre est indispensable. Mais nous aurions tort de vouloir tout ranger, classer, et d'aseptiser à outrance nos environnements de travail.


Car le désordre n’est pas la désorganisation. "Je crois, disait Bacon, au chaos organisé." Il s'agit de l’orchestrer, de l’apprivoiser, pour en faire un levier de créativité plutôt qu’un obstacle à la performance.


Mettons donc un peu de bazar et d'impro dans notre quotidien. Les débats spontanés, les réunions agitées, le bordel sur un bureau et la pile de bouquins au pied d'un autre ne sont pas seulement inévitables : ils sont profitables.


Car une entreprise est faite d’êtres humains. C'est donc un organisme vivant qui génère sa part d'agitation et d'effervescence.


Chercher à annihiler ce désordre serait une erreur.

Lui sacrifier toute rigueur en serait une autre.

L’assumer, voire le cultiver dans une juste mesure, est sans doute le meilleur moyen de stimuler la créativité du groupe en favorisant l’épanouissement de chacun.

bottom of page