« Cadre qui encadre cadre qui encadre cadre qui encadre cadre qui n’encadre rien ».
C'est bien le titre de cette œuvre de l’artiste espagnole Esther Ferrer, plasticienne et ‘performeuse’ née en 1937, qui questionnait ici avec humour le rôle du cadre du tableau, à la fois ornemental et signifiant.
Mais au-delà de l'ironie, l’œuvre fournit une occasion de se pencher sur une homonymie intéressante entre le cadre du musée (l’objet) et le cadre de l’entreprise (la personne).
Avec une question posée d’emblée : si la notion d’encadrement est bien présente dans ces deux univers, se pourrait-il qu’en explorant son sens dans le monde de l’art, on éclaire du même coup sa fonction dans celui du travail ? J’en prends le pari, en vous laissant juge…
Parlons donc du cadre du tableau. Fondamentalement, il répond à trois fonctions distinctes :
- 1) Le cadre définit. Il marque la limite entre ce qui fait partie de l’œuvre et ce qui lui est étranger. Il sacralise en quelque sorte l’espace qu’il contient, et signifie au spectateur : « voilà l’œuvre ». Pour autant il n’enferme pas. Au contraire il ouvre, puisqu’il est comme une fenêtre, un passage du monde concret – celui du spectateur – sur le monde virtuel – celui représenté par l’artiste. Il délimite donc, tout en suggérant un hors-champ infini.
- 2) Le cadre valorise. Par son aspect, son ornementation, sa couleur, sa matière, il est censé sublimer l’œuvre d’art, la mettre en valeur. Il s’accorde à son contenu, s’harmonise avec lui afin d’en souligner les qualités, et rehausse ainsi la portée esthétique de l’œuvre. En ce sens, c’est au cadre d’être adapté à l’œuvre, et pas le contraire. Le cadre est second : ce qu’il encadre prévaut.
- 3) Le cadre protège. C’est là, historiquement, la vocation principale du cadre. Si l’œuvre tombe, si quelque chose la heurte, c’est lui qui encaisse le choc, laissant son contenu intact. Il fait office de rempart pour protéger l’œuvre des incidents qui pourraient la détériorer, quitte à être lui-même endommagé.
Récapitulons. Le cadre du tableau définit, valorise et protège. Définir, valoriser, protéger… Et si on tentait de transposer cette logique à l’autre cadre, celui de l’entreprise ? Quel sens auraient pour lui ces trois verbes ? Ne doit-il pas définir ? (des projets)… Valoriser ? (ses équipes)… Protéger ? (ses collaborateurs)… Jusqu’où doit-il aller dans chacune de ces fonctions ? Sont-elles prioritaires, compte tenu des enjeux de l’entreprise contemporaine ? Et si elles ne le sont pas (ou plus), ne devraient-elles pas le devenir ?
Chacun pourra y réfléchir à la lumière de sa propre expérience. Mais ne perdons pas de vue que les mots ont un sens, et que le vocabulaire que nous employons est le fruit d’une longue histoire qui ne doit que peu de choses au hasard.
Retrouver cette signification originelle du mot « cadre », c’est peut-être empêcher que l’entreprise ne devienne comme cette œuvre d’Esther Ferrer : simplement absurde.