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Grégoire Jeanmonod

Sauver le Radeau de la Méduse !


Saviez-vous que le Radeau de la Méduse, chef d’œuvre de Géricault, a failli échapper à la France ?


On connaît tous ce tableau. Le radeau délabré, les naufragés exténués, la mer déchaînée : tout ça nous est aussi familier que le sourire de la Joconde ou le jingle de Netflix. Mais à l’origine de l’œuvre d’art, il y a un fait divers sordide.


Pour ne pas heurter les plus sensibles, je propose un résumé en mode télégraphique. 1816. Naufrage. Radeau. 150 passagers. 13 jours en mer. Faim. Soif. Folie. Cannibalisme. 15 survivants. Bon, vous avez compris : à côté, Titanic c’est la Croisière s’amuse.


A Paris, l’affaire fait scandale. Parce que le responsable du naufrage, le capitaine de la frégate, est un ancien fidèle de Louis XVI qui s’est planqué en Angleterre quand la Révolution a éclaté. Et à son retour – qui coïncide étrangement avec celui de la monarchie en 1815 –, Louis XVIII lui a confié le commandement de la Méduse en faisant abstraction du fait qu’il n’avait rien commandé d’autre que des tasses de thé depuis 20 ans. D’où la polémique : pour les opposants au roi, cette tragédie est l’occasion de dénoncer les faveurs accordées aux nobles de retour d’exil.


Géricault, lui, cherche un sujet à même de faire sensation au Salon de 1819. Avec cette histoire, il l’a trouvé. Le drame humain et la puissance des éléments, saupoudrés de scandale politique : la recette est imparable.


Après un an de travail acharné, le tableau est exposé au Salon. Bien sûr, les libéraux crient au génie et les royalistes à la démence. Mais surtout, l’Etat refuse de l’intégrer aux collections nationales. Est-ce qu'on imagine l'administration Nixon classer le Watergate Monument Historique ? Quant aux acheteurs privés, ils ne se bousculent pas. La toile impressionne, mais personne n'en veut dans sa salle à manger.


En Angleterre en revanche, où l’œuvre est exposée l'année suivante, elle fait l'unanimité. Mais l'artiste refuse de la laisser partir à l'étranger.


Le tableau reste donc invendu. En tout cas jusqu’à la mort de Géricault en 1824. Car alors intervient (enfin!) le héros de cette histoire. Son ami le peintre Dedreux-Dorcy achète la toile avec une obsession : empêcher qu’elle ne quitte la France.


Pendant des mois, il s’escrime à convaincre l'Etat de la lui reprendre. Des collectionneurs américains lui en proposent trois fois le prix, mais il n’en démord pas : la place du Radeau est au Louvre.


Finalement, il a gain de cause. C'est d'ailleurs le seul gain dont il peut se prévaloir, puisqu'il cède l’œuvre à l’Etat au prix précis auquel il l’a achetée. Est-il vraiment nul en affaires ? Pas tant que ça. Car il obtient le plus important : la garantie que le tableau ne quittera jamais le Louvre.


Dedreux-Dorcy a donc renoncé à un profit considérable pour que la volonté de son ami soit respectée… et que vous et moi n'ayons pas à traverser l'Atlantique pour admirer le Radeau de la Méduse.


Morale de l'histoire : certaines victoires ont plus de valeur qu’un bénéfice comptable.



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