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Grégoire Jeanmonod

Soap opera tragique au Siècle des Lumières


William Hogarth, grand peintre anglais du XVIIIème siècle, était un satiriste très inventif.

 

Satiriste parce que ses œuvres, diffusées sous forme de gravures, avaient souvent pour but de dénoncer les mœurs de son temps en mêlant grand art et humour noir. So british, isn't it ?

 

Inventif, parce qu’il avait mis au point un système de narration par séries d'images, un peu comme dans nos BD modernes.

 

Dans le Mariage à la Mode, il raconte ainsi en six tableaux le mariage arrangé d'un aristocrate désargenté et d'une jeune bourgeoise.

 

La série étant trop riche pour être détaillée dans un post LinkedIn, je vais tenter de résumer l'histoire en une phrase (accrochez-vous) :


Unis malgré eux, les époux mènent une vie de débauche, marquée autant par l’attrait du jeune homme pour les prostituées que par l'amour de sa femme pour son amant... lequel finira par tuer le susdit mari, se condamnant lui-même à une pendaison qui mènera sa bien-aimée au suicide. VDM.

 

Oui, c'est sordide. Mais au delà de la satire morale, les séries de Hogarth ont quelque chose de contre-intuitif : il ne montre pas les événements clés de l’histoire, mais ce qui précède et ce qui suit.

 

On n’assiste pas au mariage, à l’adultère, à la pendaison... mais aux scènes intermédiaires : les négociations prénuptiales, un réveil après une nuit de libertinage, une visite chez l’apothicaire pour soigner un accès de vérole...

 

Hogarth ne présente pas les faits, mais leurs causes et leurs conséquences.

 

Comme si James Cameron, dans Titanic, était passé sans transition de « Iceberg à tribord ! » à Kate Winslet flottant au milieu de l’océan.

 

Ces ellipses, d’abord, nous forcent à réfléchir pour relier les points. De simples spectateurs, nous devenons contributeurs actifs.

 

Mais surtout, cette forme sérielle rejoint la philosophie empiriste des Lumières. Il s’agit, en exposant les prémisses et les effets de chaque événement, de mettre en évidence le lien de causalité qui mène de la première à la dernière scène.

 

Et ça, ça devrait nous interpeller.

 

Nous accordons beaucoup d’importance aux faits. Nous célébrons les succès, déplorons les échecs, applaudissons certaines actions et en dénonçons d’autres.

 

Mais Hogarth nous invite à nous distancier des événements eux-mêmes, pour observer « l’avant » – le contexte et la préparation – et « l’après » – le bilan et les effets collatéraux. En rappelant que chaque « après » est aussi un « avant », puisque le résultat de nos actes contient les germes de nos décisions à venir.

 

Et dans un monde qui voue un culte à l’immédiateté et au sensationnel, prendre le temps de l’analyse – des causes et des conséquences – est sûrement la meilleure manière de décider et d’agir avec discernement. Pour le meilleur plutôt que pour le pire.

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