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  • Grégoire Jeanmonod

Un long éclair de génie


Vassily Kandinsky est souvent présenté comme l'inventeur de la peinture abstraite. Car si d'autres s'y étaient essayé avant lui, il a été le premier à la théoriser et à la systématiser.


Pourtant les peintures de ses débuts - vers 1900 -, bien qu'influencées par l'Impressionnisme, témoignent d'une certaine orthodoxie.


Alors comment a-t-il eu l'idée de l'abstraction ? L'artiste l'a raconté lui-même.


Murnau, 1908. Un soir, après un dîner, il rentre dans son atelier et aperçoit "un tableau d'une beauté indescriptible, une superbe mêlée de couleurs, sans sujet." Après un instant, il réalise qu'il est en train d'observer une de ses propres toiles posée à l'envers.


On pourra se demander ce qu'il avait bu ce soir-là. Mais l'important n'est pas là : devant ce tableau au sujet non identifié, il réalise que "la description des objets nuit à la peinture". 


L'art abstrait est né.


Une épiphanie comme celles qu'ont connues Newton en voyant une pomme tomber ou Archimède en entrant dans son bain.


Ainsi, les idées naitraient dans un éclair de génie. Séduisant... mais illusoire.


Dans le cas de Kandinsky, il suffit de se pencher sur ses toiles figuratives réalisées avant cette anecdote pour comprendre que la description du réel l'intéressait déjà moins que le jeu des formes et des couleurs. Sans le savoir, il était déjà sur le chemin de l'abstraction.


L'expérience du tableau retourné n'a été que l'éclosion d'une idée qui était en gestation en lui depuis longtemps.


Peut-être depuis son plus jeune âge.


Car enfant, il a reçu une éducation à la fois musicale et picturale, entre pinceau et piano.


Or, on sait qu'il était atteint de synesthésie. Cette particularité neurologique - qui toucherait 4% d'entre nous - provoque des associations sensorielles entre des stimuli de natures différentes. Kandinsky, lui, percevait les sons en couleurs et les teintes en sonorités.


Ainsi, quand le petit Vassily bossait son solfège, il voyait sa partition se colorer. Quand il barbouillait ses toiles, il entendait une mélodie.


Voilà d'où vient l'art abstrait : c'est de la musique en peinture. Et il trimballait ça en lui depuis toujours.


Le plus intéressant n'est pas qu'un phénomène neurologique l'ait prédisposé à révolutionner la peinture. Mais qu'une idée ait pu germer en lui pendant des années, pour finalement se révéler à la faveur d'un événement insignifiant.


Les idées ne nous tombent pas dessus comme on attrape un rhume. Au départ il y a souvent une intuition, vague, inexplicable. Le germe d'une idée.


L'erreur serait de l'étouffer sous prétexte qu'elle n'est pas aboutie.


Laissons lui du temps, couvons-la, écoutons-la, cultivons-la... même si, comme Kandinsky, nous ne savons pas où elle nous mènera.


Car il se pourrait qu'un soir, après un dîner, en flânant sous un pommier ou en prenant un bain, nous l'entendions nous dire : "Je suis prête."


Nous pourrons alors crier : "Eurêka !"

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