Voici une expérience qu'il m'arrive de faire en conférence...
Montrez ce tableau de René Magritte quelques secondes à qui vous voulez. Retirez-le de son regard, laissez passer 5 minutes, et posez-lui la question: "Le tableau montrait une fenêtre ouverte sur un paysage : qu'y avait-il à l'extérieur? Une maison, un arbre ou des promeneurs?"
Vous aurez quasiment toujours la même réponse : un arbre.
Sauf qu'en fait, on n'en sait rien. Parce que sur ce tableau de Magritte, un chevalet est installé devant la fenêtre, et la toile qui est posée dessus nous empêche de voir ce qu'il y a, effectivement, à l'extérieur. Il pourrait y avoir un parking, un orchestre de chambre ou un troupeau de licornes, que l'image ne serait pas différente.
Ce qui nous induit en erreur, c'est que le tableau posé sur le chevalet (donc le tableau dans le tableau, vous me suivez?) est parfaitement raccord avec la petite portion de paysage que nous apercevons effectivement.
Tout est si cohérent que notre cerveau n'a aucune raison de chercher plus loin. Nous faisons donc abstraction des pieds du chevalet (pourtant très visibles) et du bord de la toile (cette bande blanche incongrue qui tranche avec la verdure), pour nous satisfaire de l'interprétation la plus immédiate.
Le raccourci est d'autant plus tentant que le paysage, ainsi artificiellement composé, est objectivement séduisant.
Mais pour savoir ce qu'il y a vraiment à l'extérieur, il faudrait que nous puissions aller à la fenêtre pour pousser le chevalet... En d'autres termes, il faudrait que nous allions chercher l'info.
Morale de l'expérience: ce n'est pas parce qu'une information est plausible, cohérente, séduisante, intelligible et immédiatement assimilable... qu'elle ne doit pas être vérifiée.
Magritte était connu pour être un peintre philosophe. Ses images, parfois abracadabrantes, étaient toujours une invitation à la réflexion, et souvent à la méfiance vis-à-vis des images (souvenons-nous de son "Ceci n'est pas une pipe"). Un comble, me direz-vous, pour quelqu'un dont le métier était justement de produire des images.
Mais après tout c'est le principe du vaccin : inoculer le mal pour nous en prémunir.
Pas sûr, malheureusement, que le vaccin Magritte soit suffisamment puissant pour nous protéger, nous et nos enfants, des flots de fake news qui s'immiscent parmi toutes les informations qui nous submergent chaque jour.
Voilà notre défi quotidien à tous: trouver un équilibre méfiance et candeur, rester alerte sans tomber dans le nihilisme.