Dans quelques jours, nous célébrerons le 80ème anniversaire du Débarquement. Et ces photos resurgiront comme elles le font régulièrement.
Pourquoi celles-là ? Parce que ce sont les seules prises au cœur des combats à nous être parvenues. Onze clichés au total. Les Magnificent Eleven.
Leur auteur, c’est Robert Capa. Reporter pour le magazine LIFE, il a débarqué à Omaha Beach, la plage où les Alliés ont perdu le plus d'hommes.
Son récit, relayé par LIFE et répété dans ses mémoires, est épique.
Mêlé aux soldats lors de la première vague d’assaut, il aurait passé "un long moment" au milieu du chaos et pris plus de 100 photos sous le feu ennemi.
Mais comme l’a expliqué à l’époque John Morris, directeur du service photo de LIFE, la quasi-totalité des films aurait été détruite en laboratoire à cause d'une erreur de manipulation des bobines.
Les onze seules photos exploitables ont fait de Capa une légende.
Sauf qu'en 2014, le critique A.D Coleman a réexaminé ces faits à la lumière d'une enquête minutieuse : interviews de vétérans, recoupement de témoignages, tests en laboratoire, analyse de négatifs…
Sa conclusion : cette histoire de bobines gâchées ne tient pas la route.
Capa serait ne serait en fait resté "que" 15 à 30 minutes sur la plage – le temps de prendre onze photos floues – avant de faire une crise de panique et de regagner, tétanisé, la barge la plus proche.
C’est Morris qui, pour sauver la réputation de Capa et de LIFE, aurait inventé un récit alternatif.
Aujourd’hui, la version de Coleman est largement admise.
Et pour être sincère, ça me désole un peu. Pas que Capa ait fui, ni qu'il ait menti. Mais que la légende soit ternie.
Comme vous, je préfère le vrai au faux. Et à l’heure des fake news et des théories complotistes, la quête de vérité menée par les debunkers est une nécessité.
Mais le récit de Capa était d’un autre ordre : ses photos n’ont pas été trafiquées, aucune réalité historique n’a été trahie.
Alors pourquoi tous ces efforts, M. Coleman ? Au nom de la rigueur historique ? De l’éthique journalistique ? Pour le plaisir de déboulonner une statue ? Il semble que vous ayez vu juste… mais je vous en veux presque.
Capa, quoi qu'on en dise, a été héroïque : le seul fait de se porter volontaire pour s’exposer aux tirs des Mauser allemands armé d'un 35mm Contax témoigne d’une bravoure hors norme. N’importe qui aurait paniqué.
Etait-il indispensable, 60 ans après sa mort, de se donner tant de mal pour écorner son image ?
Les plus vertueux répondront qu'on ne transige pas avec la vérité.
Pourtant Mark Twain recommandait de « ne jamais [la] laisser se mettre en travers d’une belle histoire ».
Est-ce que ça signifie que le mensonge est louable ? Non. Mais que nous avons besoin, pour vivre et espérer, de mythes incarnés par des figures inspirantes.
Peut-être que la fiction, parfois, est plus utile que les faits. RIP Mr Capa.